« Près de 850 emplois sont supprimés chaque mois dans le Nord-Pas-de-Calais. Et cette véritable saignée s’opère dans une région qui souffrait déjà d’un fort taux de chômage !
Je voudrais d’abord souligner la lutte exemplaire des 250 salariés de l’entreprise Doux à Graincourt-lès-Havrincourt, qui occupent leur abattoir de volailles depuis plus d’un mois. Ces salariés ne se résignent pas, et pour cause : cette unité de production, qui irrigue le tissu économique rural en fournissant une activité importante aux éleveurs, fait des bénéfices, ainsi que l’atteste le rapport comptable fourni par les liquidateurs. Au demeurant, cette activité a des débouchés : la France importe 40 % de ses besoins en volailles.
Cependant, le tribunal de commerce, composé exclusivement de dirigeants d’entreprise, n’a pas validé cette thèse. Rappelons à ce sujet le potentiel conflit d’intérêts soulevé par les syndicats et la presse à propos de la présence dans la formation de jugement de sept juges qui seraient en lien avec Doux…
Les salariés sont prêts à soutenir la poursuite de l’activité de l’unité du Pas-de-Calais. Il a donc été acté que, si cette unité était jugée « modernisable » au terme de l’expertise financée par l’État, ce dernier investirait avec la région. Dans le cas contraire, il s’engagerait à ce que tous les salariés licenciés bénéficient d’un maintien de salaire à 100 % pendant un an. Pour le même coût, une aide à la reprise permettrait de pérenniser 250 emplois. C’est mieux.
Pourtant, les salariés ont l’impression que, malgré quelques avancées, qu’il faut souligner, il y a un manque de volonté politique au sommet de l’État pour finaliser ce projet. Que pouvez-vous leur répondre ?
Même questionnement pour les salariés de Durisotti : quels engagements le Gouvernement peut-il peut prendre sur la nécessité de revoir le contenu des appels d’offres de l’État afin de ne pas défavoriser les entreprises françaises qui, comme celle-ci, recherchent également des financements ?
Meca Stamp International bénéficie d’un savoir-faire unique en France et ses débouchés sont assurés : le carnet de commande est plein. Un plan de reprise est en cours d’élaboration avec plusieurs associés. Que comptez-vous faire pour éviter toute cessation d’activité hâtive et apporter à ce projet le renfort financier nécessaire pour maintenir le plus possible d’emplois ?
Arc International a vu ses effectifs passer de 12 000 salariés à 5 680 en dix ans. L’entreprise a prévu une nouvelle baisse de ses effectifs à l’échéance de l’accord de méthode, fin 2012. Les salariés s’inquiètent d’une nouvelle réduction en raison de la priorité affichée par l’actionnaire de produire en Chine, aux Émirats arabes unis et aux portes mêmes de l’Europe, en Russie. D’où 880 départs à la retraite programmés d’ici à 2015, dont un sur deux seulement sera remplacé. Sans parler des 1 500 salariés qui pourraient « opportunément », aux yeux de la direction s’entend, bénéficier de « retraites anticipées amiante », mais sans être remplacés. Confirmez-vous une telle information ?
Monsieur le ministre, d’une manière plus générale, quelle action déterminante le Gouvernement compte-t-il entreprendre pour stopper une telle hémorragie d’emplois et assurer la pérennisation de toutes les entreprises que j’ai citées ? »
La réponse de M. Peillon
« Monsieur le sénateur Dominique Watrin, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser mes collègues Michel Sapin et Thierry Repentin, qui sont en ce moment même auditionnés par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale sur les crédits de la mission « Travail et emploi ».
Les entreprises que vous avez citées, et qui relèvent de secteurs d’activité très différents, ont effectivement supprimé de nombreux postes dans votre département. Le nombre total de licenciements économiques cette année est sensiblement supérieur à celui de l’année précédente à la même période : 3 041 à la fin du mois de septembre 2012, contre 2 799 en 2011, ce qui traduit une dégradation sérieuse de la situation économique depuis de très nombreux mois.
Une telle situation est préoccupante pour tous les travailleurs concernés et pour toutes les familles touchées directement ou indirectement par le chômage. Le Gouvernement veille donc à ce que les salariés victimes d’un licenciement économique soient accompagnés le mieux possible pour retrouver au plus vite un emploi.
Les salariés victimes de licenciement économique dans les entreprises de moins de 1 000 salariés et dans les entreprises en redressement ou liquidation judiciaire peuvent être accompagnés dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle, le CSP. Ce dispositif, dont je reparlerai, vise à favoriser le retour à un emploi durable, le cas échéant au moyen d’une reconversion. L’allocation versée dans le cadre du CSP pendant un an équivaut à la quasi-intégralité du salaire net antérieur. Dans le Pas-de-Calais, à la fin du mois de juillet 2012, 2 267 salariés licenciés pour motifs économiques sont entrés dans le dispositif.
N’en doutez pas, monsieur le sénateur, le Gouvernement se mobilise ; tous les outils de la politique de l’emploi sont mis en œuvre pour aider les salariés.
Dans le cas de l’abattoir du pôle frais de Doux situé à Graincourt-lès-Havrincourt, dès le début du mois d’août, et parallèlement aux efforts déployés par le Gouvernement pour préserver au mieux l’emploi du pôle frais, l’État a mis en place une cellule d’appui à la sécurisation professionnelle pour l’ensemble des 253 salariés, afin qu’ils bénéficient d’un accompagnement particulier pour les soutenir et les aider dans leurs démarches de reconversion.
La mise en place de ce type de cellule est exceptionnelle, mais elle répond à une situation elle-même exceptionnelle, sur un bassin d’emploi qui souffre. Les salariés licenciés sont ensuite pris en charge dans le cadre du CSP.
Le Gouvernement s’est également engagé à débloquer un million d’euros pour le fonds de revitalisation permettant de soutenir des projets économiques créateurs d’emplois sur ce territoire.
Monsieur le sénateur, nous sommes particulièrement conscients de la situation préoccupante de l’emploi dans le Pas-de-Calais et de la nécessité d’agir rapidement. C’est pourquoi nous avons attribué 1 442 contrats d’accompagnement dans l’emploi supplémentaires au Pas-de-Calais pour le second semestre de 2012, en plus de l’enveloppe initiale de 5 902 de juillet 2012, soit une enveloppe totale de 7 344 contrats d’accompagnement pour le second semestre.
Notre action est tout entière tournée vers l’emploi. Vous le savez, dès le mois de juillet, une grande conférence sociale réunissant l’ensemble des partenaires s’est tenue à l’initiative du Gouvernement. Elle donne déjà ses premiers résultats. Les partenaires sociaux – c’est la méthode de la concertation, celle que j’évoquais tout à l’heure – viennent de conclure un accord interprofessionnel sur le contrat de génération, et la loi créant les emplois d’avenir vient d’être enfin promulguée. Ce sont plusieurs centaines de milliers d’emplois qui seront créés ou sauvegardés dans les mois à venir. D’autres négociations importantes sont en cours, y compris sur la sécurisation de l’emploi.
Monsieur le sénateur, j’espère vous avoir convaincu que le Gouvernement est mobilisé pour faire de l’emploi sa priorité et qu’il porte une attention particulière au département du Pas-de-Calais. »
Ma réplique :
« Je suis heureux d’entendre M. le ministre confirmer ce que j’ai évoqué.
La situation de l’emploi dans le Pas-de-Calais est en effet préoccupante.
À mes yeux, le nombre d’entreprises concernées par des menaces de fermeture ou des réductions d’activité et d’emploi justifie la demande, formulée dès le mois de juillet par le secrétaire national du parti communiste français et par la présidente d’alors de notre groupe, Nicole Borvo, d’un moratoire général sur l’ensemble des plans de licenciement collectifs.
Un tel moratoire serait d’autant plus légitime que, les exemples que j’ai mentionnés le montrent, il faut parfois laisser du temps au temps, afin que les projets de reprise puissent être menés à terme pour devenir effectifs, en obtenant tous les soutiens nécessaires.
En outre, on ne peut ignorer que, dans les cas que j’ai cités, s’illustrent aussi des stratégies financières.
Monsieur le ministre, vous affirmez que le Gouvernement est mobilisé. Pour ma part, j’ai le sentiment qu’il ne prend pas la juste mesure de l’impatience des salariés confrontés à de telles situations. Ils attendent beaucoup plus du Gouvernement, notamment des mesures nettement plus vigoureuses, afin qu’ils ne soient plus considérés comme de simples variables d’ajustement des difficultés rencontrées. En disant cela, je ne vous adresse pas un reproche personnel, monsieur le ministre ; j’exprime une demande très vive à l’égard de l’ensemble du Gouvernement.
Je suis convaincu qu’un certain nombre de lois doivent être adoptées, notamment pour donner plus de pouvoirs aux salariés dans les entreprises. C’est, me semble-t-il, le seul moyen d’éviter certaines dérives patronales que l’on a pu constater et de répondre à des stratégies financières qui jouent contre l’emploi.
Je m’étonne tout de même que le ministre du redressement productif n’ait pas pu, ou pas voulu, répondre à ma question, alors qu’il était là voilà quelques instants.
Je prends néanmoins acte des quelques éléments que vous avez fournis, monsieur le ministre. Je relève que, sur les contrats aidés, il s’agit d’un simple rattrapage : j’avais en effet écrit à M. Sapin pour indiquer que nous étions fortement pénalisés dans la répartition de l’enveloppe nationale des contrats aidés. Je me réjouis donc que mon intervention ait porté.
Je souhaiterais tout de même que vous transmettiez les questions précises que j’ai soulevées aux différents ministres chargés de ces dossiers, afin que je puisse obtenir des réponses plus détaillées et les transmettre à mon tour aux salariés concernés. »